Shanti Travel

Rencontre avec Gaspard Walter, auteur-photographe de « Ticket to »

 

Photographe, auteur et voyageur, Gaspard Walter sillonne l’Asie pendant une dizaine d’années avant de partir à la découverte d’autres continents. De ses voyages, il partage son ressenti, ses émotions et ses coups de cœur, il les partage dans ses ouvrages « Ticket To » et sur son blog : http://ticket-to.fr/blog/. Retour sur son parcours.

Bonjour Gaspard, comment avez-vous attrapé le virus du voyage et quel type de voyageur êtes-vous ?

Il y avait un cadre sur le mur du salon, chez mes parents. Une photo de ma mère, plus jeune, souriante, timide, devant la porte bleue d’un missionnaire barbu planté à côté d’elle. Un souvenir de Macao. Le virus du voyage je l’ai attrapé à de nombreuses reprises, mais si je remonte à la source,  à mes premières envies de départ et à l’origine de ma passion pour l’Asie, alors c’est cette photo qui a été déterminante. Ensuite, il y a eu le premier départ, puis d’autres, de plus en plus rapprochés jusqu’à ce que je décide, en 2007, de me débarrasser des retours.

Aujourd’hui je suis un « backpacker », j’imagine, mais j’essaie de ne pas m’enfermer dans un certain type de voyage, je m’adapte suivant les destinations. Parfois, j’ai envie de confort, parfois non ;  je passe de la chambre d’hôtel à la tente sans problème. Ce que j’aime par-dessus tout c’est le désordre, la complexité, les destinations qui demandent du temps, un effort pour être comprises. J’aime ne pas pouvoir tout capturer d’un coup d’œil, j’aime la profondeur et que tout ce ne soit pas parfaitement clean. L’Asie de côté-là, c’est parfait. 

Comment vous est-venue l’idée de partager vos voyages sur votre blog et dans vos carnets de voyage ? Quel en est le but ?

L’idée de ces livres est venue assez simplement : en tant que voyageur, je ne trouvais rien qui me plaise dans les librairies. La plupart des livres de voyage sont des livres « d’éditeur » c’est-à- dire une commande à un photographe ou un genre de « best of » de photos pour une destination que l’on pense populaire. Le problème de ces livres c’est qu’ils sont toujours trop lisses, souvent creux. Les plages sont désertes, les rues impeccables et tout le monde sourit.
Moi j’avais envie d’une collection qui dise la vérité, les bonnes comme les mauvaises choses et je voulais que tout ça soit le plus complexe possible. En général les éditeurs insistent pour que les livres suivent une construction classique, pour que le lecteur comprenne facilement ce qu’il a entre les mains, mais pour Ticket to, je voulais le contraire : des livres chargés, compliqués, où l’on se perd, et qui demandent que l’on y revienne plusieurs fois. Autant que possible je voulais garder dans chaque volume la sensation du voyage, de l’aventure et pour ça il était important de ne pas prendre le lecteur par la main et de le laisser se perdre entre les pages.

Enfin, je voulais m’éloigner des poncifs touristiques, de ce que l’on a déjà vu et que l’on verra encore. J’ai dans l’idée qu’un voyageur qui passe une semaine à Bangkok, si on prend l’exemple de la Thaïlande, retiendra moins le Grand Palais que les détails des rues, les trajets en taxis, les plats qu’il aura mangés et ce sont toutes ces choses-là que je voulais mettre en avant, loin devant les « cartes postales » de la destination.

Le blog est venu ensuite, comme une extension. Parce qu’un livre c’est figé, je voulais accompagner la collection avec quelque chose de plus dynamique, avec une actualité à faire évoluer au fil de mes voyages. Le blog c’est un peu la suite des livres ou un entre-deux en attendant le prochain volume.

Quels sont les sujets d’écriture et de photographie qui vous passionnent ?

Souvent photo de voyage rime avec portait. Mon travail est un peu différent. Si je pars, moi aussi, à la rencontre des autres, quand il s’agit de prendre des photos c’est le vide qui me parle le plus. Les détails, les rues désertes, les portes closes. J’aborde les lieux comme des personnages à part entière, parce que les villes et les paysages aussi racontent des histoires. J’aime les traces du temps sur les murs, la peinture qui s’écaille. Plus le temps passe, plus je photographie les choses de façon systématique, de face, avec un côté un peu obsessionnel comme cette série interminable, commencée il y a quelques années, sur les portes de Georgetown à Penang et qui, au fur et à mesure que la ville se transforme, devient un genre d’inventaire avant liquidation.

 

En lisant votre blog, on a l’impression que le Zanskar vous a bouleversé, pourquoi ?

C’est un voyage qui s’est décidé à la dernière minute. Je me suis laissé surprendre. À un moment, j’étais sur une plage de Thaïlande, dix jours plus tard je passais le col du Shingo La, seul, sans expérience, à plus de cinq mille mètres avec de la neige jusqu’à la taille.

Jamais je n’ai eu à ce point l’impression d’être coupé du monde. La traversée du Zanskar, c’est une route où l’on ne peut pas tricher. Quand on a commencé, on est obligé de terminer : il n’y a pas d’issue de secours, pas de raccourci pour s’échapper et rejoindre Leh ou Manali rapidement. La seule chose à faire c’est de continuer à marcher.

Après quelques jours, c’est devenu une expérience quasi mystique ; de longues heures dans un désert de pierres, sous un ciel brûlant. Entouré de montagnes, on se sent minuscule et la route paraît de plus en plus longue ; elle se déroule au fur et à mesure. La journée avance et on a l’impression que l’endroit que l’on cherche à atteindre est toujours quelques pas plus loin, qu’il s’éloigne. Il n’y a rien d’autre que nos pas et le bruit du vent ; jamais je ne me suis aussi bien entendu penser.

Les villages que l’on traverse  semblent figés dans le temps, on y vit pratiquement comme au moyen-âge. La plupart des Zanskaris n’ont aucune idée du monde qui les entoure et c’est en passant quelques heures avec eux qu’on se rend compte à quel point tout est loin de cette vallée. Une terre que le monde moderne n’a pas encore rattrapée. Quand on me demande de conseiller un voyage, je conseille celui-là. Parce que c’est une expérience unique et magnifique, parce que chaque matin sur les routes du Zanskar est une invitation, chaque fin de journée une récompense. Mais aussi, et surtout, parce que c’est une région du monde qui va changer. La route avance, lentement, mais elle avance…

 

On vous sent amoureux du Vietnam également, qu’est-ce qui vous plait tant là-bas ?

Le Vietnam demande un peu plus d’efforts que les pays voisins. On y est moins pris par la main, c’est plus difficile parfois. Le tourisme est loin d’y être aussi organisé qu’en Thaïlande par exemple où on peut pratiquement voyager les yeux fermés. Et en même temps, pour peu qu’on soit patient, qu’on dépasse certains à priori, je pense que de tous les pays d’Asie du Sud-Est, c’est celui qui a la plus à offrir.

D’un point de vue touristique, le Vietnam est d’une richesse fantastique. Il y a peu de pays comme celui-là où l’on peut passer de la mer à la montagne où l’on peut enchaîner aventure, détente et découverte si facilement. Les dunes de Mui Ne, la cité impériale d’Hue, le delta du Mékong, les brumes de Sapa, la baie d’Halong, les quartiers coloniaux de Saigon, le désordre de Hanoi ou les rues minuscules de Hoi An éclairées, à la nuit tombée, par des milliers de lanternes chinoises, la liste des expériences, des choses à voir est interminable. Et parce que le pays demande un petit effort supplémentaire, parce que les sourires s’y méritent, tout semble plus authentique.

 

Une journée de voyage idéale pour vous se passe comment ?

Je crois que le voyage change du moment où l’on en fait un métier, du moment  où « ailleurs » n’est plus l’endroit où l’on va, mais l’endroit d’où l’on vient. Je ne suis plus pressé par le temps et donc mes attentes sont différentes. Et, bien sûr,  selon que je voyage pour moi ou pour le travail l’expérience change.

Quand je travaille, je suis un peu dans une bulle, j’ai souvent l’impression de regarder le monde à travers une vitre ; je reste quelques pas en arrière pour observer, pour noter tout ce qu’il se passe autour de moi. Quand je travaille, je suis plus spectateur qu’acteur, j’ai besoin de cette distance pour capturer les lieux que je traverse.

Quand je voyage pour moi – et continuer à voyager pour le plaisir est nécessaire – alors j’aime bien prendre mon temps. Je n’aime pas faire la course. Je peux passer une semaine dans une ville avant d’avoir l’impression de pouvoir passer à la prochaine étape. Et le plus souvent je laisse mon appareil photo à l’hôtel. On se souvient mieux des choses qu’on a pris le temps de regarder.

Quelle est votre plus belle rencontre de voyage ?

À New York, au sud de Manhattan, sur la 7e rue, tous les soirs il y a un vieil italien, Anthony, qui s’installe sur le trottoir. Il déplie sa chaise longue devant ce qui ressemble à une boutique d’antiquités, mais qui finalement est un appartement.

Il laisse sa porte ouverte et invite tout le monde à rentrer. Anthony Pisano c’est ma plus belle rencontre de voyage. Ce type assis là, accueillant tout le monde chez lui, cette pièce sombre, baignée par la voix de Sinatra. Un vieil aquarium, une montagne d’objets en désordre, un gros chat assoupi. Rentrer dans cette fausse boutique, c’est comme se retrouver transporté dans les souvenirs d’un autre. Je suis resté une heure, assis sur le perron, à écouter les histoires d’Anthony, à l’écouter me raconter le vieux New York. Cette soirée-là est inoubliable.


Votre plus belle photo ?

J’aurais du mal à pointer du doigt LA photo parmi plusieurs milliers d’autres. Alors disons une photo, l’une de mes favorites. Comme je le disais plus haut, je suis souvent plus attiré par les décors que par ceux qui les habitent, c’est pour ça que quand je réussi un portait il devient tout de suite un peu particulier, il sort automatiquement du lot.

Cette photo je l’ai prise dans le village de Kurgiakh, après une semaine de marche au Zanskar. C’est le premier village que je croise, la première fois sur cette route que je vais dormir chez l’habitant. Impossible de communiquer avec mes hôtes alors je les regarde vivre, assis sur le sol en terre battue de la pièce commune. J’observe cette femme qui prépare du fromage de yak. Il fait sombre, un rayon de lumière passe par la fenêtre, souligne les contours de son visage ; voilà, j’ai ma photo.

Votre pire expérience de voyage ?

Jusqu’ici, j’ai été plutôt chanceux. J’ai eu quelques problèmes parfois, mais jamais rien de très grave. Et puis avec le temps j’ai appris à relativiser : je sais que les plus mauvaises expériences de voyages font les meilleures histoires. Au Vietnam, je me suis fait voler une clé USB qui contenait tous les textes du livre sur lequel j’étais en train de travailler. Il a fallu tout réécrire. Avec le temps ça ne me paraît plus si important, plus aussi grave.

Pour terminer, quels sont vos prochains projets de voyage ?

En ce moment, je suis installé à Bangkok. Je vais sans doute y rester encore un ou deux mois. Après il faudra réfléchir à la suite. C’est le début de l’année, certaines choses restent à définir, j’attends une réponse de mon éditeur pour un éventuel nouveau livre. On verra. J’aimerais retourner dans le nord de l’Inde, terminer ma longue marche le long de la chaine himalayenne, avec un peu de chance c’est quelque chose que je pourrais faire cette année.

Vous avez envie d’en savoir plus sur le travail de Gaspard Walter ? Vous pourrez retrouver ses récits de voyage sur :

Son site : http://gaspardwalter.com/

Ses blogs : http://ticket-to.fr/ et http://ilefthome.com/

Son Facebook : https://www.facebook.com/ticketto/

Son Instagram : https://instagram.com/ilefthome

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