« Prend ma main ! »
Paul, notre guide francophone, s’agrippe comme il peut à la bouée. Nous avons alors été déséquilibrés et sommes partis de travers. André remonte in extremis sur la bouée de devant pour tendre son bâton contre la paroi rocheuse qui s‘approche.
« – Paul monte vite » Paul se retourne, s’adosse à la bouée et tend ses jambes en avant. Ali, notre porteur qui se charge de la direction de l’embarcation depuis la bouée arrière, tend son bâton comme André. La force des trois hommes repousse l’embarcation qui continue de plus belle dans les rapides tumultueuses.Je m’accroche tant bien que mal à ma bouée.
« – Arrête de rire, prend ma main.
Entre 2 gorgés d’eau Paul se marre comme un bossu. Il m’agrippe enfin la main, je lui prends le bras et le tire sur la bouée. Derrière, Ali toujours en poste dirige vainement les bouées bonnant malant tandis que les rapides nous chahutent sévèrement. A ma droite Grégory, qui porte un gilet de sauvetage est en sécurité, la tête hors de l’eau, accroché à la bouée de devant. Sandy se tient à côté, sain et sauf également.
Les rapides semblent se calmer une trentaine de mètres plus bas. Le courant nous rabat vers la berge : André et Ali dirigent la bouée sur le bord et nous arrêtons enfin notre descente infernale.
Nous rentrons en tubing de quatre jours de trek dans la jungle du parc Gunung Leuser à Sumatra. Le tubing, c’est la descente de rivière dans de grosses bouées faites avec des chambres à air de camion. Pour plus de stabilité, nous avons attaché quatre bouées ensemble. C’est sur cette embarcation qu’André, Ali, Sandy, Paul, Grégory et moi sommes montés avec nos sacs et le matériel de trek le tout savamment emballé dans de gros sacs hermétiques pour rejoindre Bukit Lawang. Mais laissez-moi vous raconter comment nous en sommes arrivés là. Vous trouverez le récit du 1er jour ici.
Deuxième jour dans trek dans la jungle de Sumatra
J’entends le doux clapotis de l’eau, quelques chants d’oiseaux au loin, le froissement des feuilles puis le cri d’un gibbon. Le soleil rentre par les ouvertures de la tente. Je me réveille doucement et sort le nez dehors. La rivière a repris un niveau rassurant et quelques gouttes tombent encore des feuilles des arbres. La pluie s’est arrêtée au milieu de la nuit. Nous sommes au matin de notre deuxième journée de trek dans le parc Gunung Leuser.
Grégory, blogueur professionnel pour i-trekking, et Paul, notre guide francophone se réveillent doucement. Je pars faire un brin de toilette dans la rivière et lorsque je reviens le petit déjeuner est prêt. Thé, biscuit et un bon sandwich aux œufs, tomate et fromage. Nous nous régalons, assis au bord de la rivière, alors que quelqu’un arrive. Paul nous présente Ali. Il sera notre porteur pour les trois prochains jours. Il ne portera pas nos sacs, mais les affaires du camp, la nourriture, et il donnera un coup de main à André pour l’installation des campements.
Les conditions de trek
Nous préparons nos sacs tandis qu’Ali et André remballent le campement. Je m’habille comme la veille tout en ayant pris soin de laver mes vêtements la veille dans la rivière. Ils sont encore humides mais je vais vite m’apercevoir que rien ne sèche dans la jungle. Mais lorsque les températures varient entre 25 et 35 degrés en journée selon l’altitude et l’humidité et que l’air est tellement lourd que le moindre effort physique me fait transpirer à grosses gouttes, cela à peu d’importance. En revanche je garde bien au sec dans un sac étanche des vêtements pour la nuit. L’île de Sumatra est coupée par l’équateur. Le parc de Gunung Leuser se trouve au nord et les pluies sont fréquentes tout au long de l’année. Les mois de Janvier à Mars et de Juin à Août restent néanmoins plus épargnés que les autres mois de l’année. Il fait en général beau le matin puis le temps se couvre dans l’après-midi avant que la pluie ne tombe en fin de journée. Pendant nos quatre jours dans la jungle, nous n’avons eu de la pluie que les deux premiers soirs et la nuit.
Difficulté du terrain pour le trek
Les jours deux et trois sont pleins de surprises et de merveilles. Côté trek, le terrain est plus difficile que le premier jour. Nous montons et descendons des pentes à plus de 45 degrés nous obligeant à nous accrocher aux racines, aux branches et aux lianes pour ne pas tomber. Alors que la marche du premier jour convient à toute personne en bonnes conditions physiques, les treks des deux journées suivantes ne conviennent pas aux jeunes enfants ni aux personnes ayant des problèmes de genoux, d’équilibre ou de respiration. Le terrain est glissant et par trois fois je me retrouve sur les fesses. Nous marchons doucement, faisant beaucoup d’arrêts soit pour se reposer, soit pour tendre l’oreille et observer les animaux de la jungle.
La faune de la jungle de Sumatra
Pendant ces trois jours de marche, outre les Orangs Outans, nous avons eu la chance d’observer trois chouettes, quelques petits oiseaux, un paon, mais aussi des semnopithèques de Thomas aussi connus sous le nom de Thomas Leaf monkeys. Ici, un petit serpent vert vif nous barre le chemin. Nous attendons patiemment qu’il rampe dans les feuilles mortes et disparaisse pour continuer notre marche. Tout au long du trek, nous observons des processions de milliers de termites formant un ballet impressionnant. La chance nous sourit et à plusieurs reprises des gibbons d’habitude très farouches, se laissent observer. Le soir du troisième campement un groupe de quatre toucans vient se poser dans les arbres de l’autre côté de la rivière. Je pensais revoir quelques Orangs Outans sauvages après le premier jour mais malheureusement nous n’avons vu que leurs nids dans les feuillages. Parait-il qu’il reste encore quelques tigres dans la jungle, mais les guides n’en ont jamais croisé.
Retour de trek en tubing
Au matin du quatrième jour, le soleil brille sur la rivière Bohorok. Nous prenons notre petit déjeuner assis en tailleur au bord de l’eau, bercé par les sons de la forêt. André et Ali préparent les bouées pour descendre la rivière en tubing jusqu’à Bukit Lawang. Il faut compter 40 minutes à une heure de descente selon le courant. Ils attachent les quatre bouées ensemble. Deux grosses bouées au milieu alignées avec deux autres plus petites à chaque extrémité. Nous montons tous les six: André à l’avant avec un grand bâton pour diriger, Ali à l’arrière avec le même équipement en guise de gouvernail, Grégroy et Sandy dans la bouée de milieu avant et Paul et moi dans la bouée de milieu arrière. Nos affaires, en sécurité dans de grands sacs étanches, sont accrochées entre nous sur les bouées. Paul nous indique qu’avec les pluies de ces derniers jours, la rivière est un peu dangereuse. Heureusement qu’il n’a pas plu la nuit dernière car nous n’aurions pas pu faire la descente et serions rentrés à pied en prenant les raccourcis et traversant la rivière sur des nacelles.
C’est parti! Le courant nous emporte et nous débutons non sans excitation une folle session de tubing sur la rivière Bohorok. Je repense aux trois derniers jours passés dans la jungle, loin de tout. Ce fut une expérience intense qui m’a permis de renouer des liens intimes avec la nature. Nous étions coupés du monde, comme six aventuriers en quête d’un idéal. Nous avons partagé des moments forts, simples, humains. Nous avons pris le temps de nous retrouver, le temps d’observer, le temps d’écouter, le temps de sentir. Nous étions soumis à des forces extérieures et nous les acceptions avec humilité. Et nous voilà tous les six dans un même bateau, habillés de simples shorts et bravant la rivière en furie, revenant chargés de souvenirs et d’énergie à la civilisation. Dans quelques dizaines de minutes nous serons de retour à Bukit Lawang pour continuer notre voyage à Sumatra Nord. Notre prochaine destination sera Berastagi, Les rapides se font de plus en plus violents et notre embarcation se fait sévèrement chahuter. Quand soudain je vois à l’avant André perdre le contrôle….
Suite à cette expérience nous avons soigneusement élaboré les programmes de nos voyageurs pour éviter les rapides dangereux. Nous débutons le tubbing plus en aval et suivons une descente plus calme. Nous nous assurons également que chaque participant porte un gilet de sauvetage. En cas de pluie, si la rivière est trop haute, la descente en tubbing sera annulée et le retour à Bukit Lawang se fait à pied en passant par le raccourci des ponts de singe.
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