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Le Bhoutan, une dictature du Bonheur ?

Moulins à prières

Territoire confiné entre la Chine et l’Inde, le Bhoutan ne fait que peu parler de lui. Et rare sont ceux  qui ont eu la chance d’y voyager pour en parler. Loin de la scène touristique internationale, le pays est toujours l’un des plus pauvres d’Asie. Pourtant, on continue de le décrire comme le pays le plus heureux du monde, ce qui peut sembler paradoxal. Explications.

Un retour aux années 70 s’impose. Jusqu’à cette époque, le Bhoutan est totalement fermé, entièrement rural et très pauvre. Alors que la doctrine économique mondiale fait la part belle aux mathématiques financières des néo-libéraux, le tout nouveau roi du Bhoutan décide de nager à contre-courant. Rejetant le Graal présumé qu’est la mesure du PIB, celui-ci met en place un nouvel indicateur : le Bonheur National Brut.

Il est basé sur 4 piliers qui sont : la protection environnementale, la préservation de la culture, une gouvernance responsable et le développement économique, le BNB intègre donc les externalités négatives, grandes oubliées du PIB. Un précurseur, pas vraiment ?

Cet indice a mis le pays sous le feu des projecteurs des grandes instances internationales, à la recherche d’un nouveau modèle pour l’économie mondiale. Mais qu’en est-il réellement de la situation au Bhoutan ? Cet indicateur s’inscrit-il vraiment dans la logique de développement du pays ?

Un roi au service du peuple

Bhoutan Couple

Jusqu’en 2008, le régime politique bhoutanais est une monarchie absolue. Par reflexe, on se demande de suite si la création du BNB n’est pas qu’un simple outil de propagande. Mais, en se penchant davantage sur les actions du roi tout au long de son règne, on remarque que c’est plutôt la théorie du dictateur éclairé qui semble la plus adaptée.

A son arrivée au pouvoir, ce dernier lance de grands projets d’amélioration des conditions de vie. Pour n’en citer que quelques-uns : santé et éducation gratuites pour tous, promotion de l’agriculture biologique, limitation drastique de la déforestation et préservation de la culture ancestrale.

Il  est vrai qu’avec une faible population,  un protectionnisme important et une économie  encore très rurale, il est plus aisé pour le monarque d’agir à sa guise. Aussi, l’égalité hommes/femmes y est par ailleurs assez bien respectée, les enfants sont libres de choisir leurs études et le choix du conjoint est laissé à l’entière discrétion des concernés. Pas de publicité dans les rues, interdiction du tabac… tout est fait avec une logique de bien-être.

Par ailleurs, l’un des axes majeurs est la préservation de la culture bouddhiste. En effet, la philosophie bouddhiste y a été élevée au rang de religion d’état. Sous sa forme tantrique, cette religion prône un rapprochement à la vie du Bouddha, en limitant l’accumulation matérielle pour accéder à l’Éveil.

Et il suffit de mettre un pied au Bhoutan pour se rendre compte à quel point cela est vrai. Les gens paraissent heureux et paisibles, et ne semblent manquer de rien. Tout voyageur retiendra d’ailleurs les sourires qui ornent constamment les visages des Bhoutanais.

Conjointement à toutes ces mesures, le roi décide de desserrer l’étau sur ses frontières.  De manière très progressive, afin d’éviter un choc qui pourrait entrainer l’effritement de la culture bhoutanaise. Ainsi, en 1974, les premiers touristes peuvent entrer dans le pays, en 1992, on inaugure le premier aéroport et en 1999 est déposée la demande d’adhésion aux accords de l’OMC, en même temps que la télévision et l’Internet font leur entrée au pays.

Et c’est ce même roi qui décide en 2006 de passer à une monarchie constitutionnelle puis d’abdiquer à seulement 50 ans en faveur de son fils, jugeant qu’il vaut mieux laisser la place aux jeunes plutôt que d’attendre la mort des plus âgés. Celui-ci continue la politique de son père, bien que la création du parlement réduise considérablement son pouvoir.

L’autoroute du Bonheur à l’épreuve des faits

Moines Bhoutan

Mais la politique bhoutanaise comporte aussi quelques zones d’ombres.

Sous couvert de la préservation culturelle, de nombreux bhoutanais d’origine népalaise ont été expulsés violemment dans les années 90, entrainant la formation de camps de réfugiés au Népal. Les deux pays n’ont jamais réussi à s’entendre et sortir de cette crise, jusqu’à ce que plusieurs pays occidentaux décident d’accueillir les réfugiés.

Autre mauvaise note, mieux vaut être dans le rang en ce qui concerne la religion au Bhoutan. Car si la loi autorise la liberté de culte, des pressions s’exercent sur les minorités. Plusieurs églises ont dû fermer, accusées de prosélytisme, la célébration de culte en public n’est pas autorisée, les prêcheurs envoyés en prison… Mais la situation s’améliore depuis quelques années. Affaire à suivre.

Enfin, lorsqu’on parle de bonheur, il semble logique de demander à la population ce qu’elle en pense. Depuis l’autorisation des différents partis politiques, celle-ci peut prendre part aux sujets de société. Aux élections de 2013, le parti en place, idolâtrant le BNB, est battu par l’opposition, qui affichait clairement son souhait de se défaire de l’indice. Selon le nouveau premier ministre, celui-ci n’aurait été qu’un moyen de faire parler du Bhoutan auprès de la communauté internationale. Ce à quoi la population semble aussi adhérer, constatant l’écart grandissant entre les paroles du précédent gouvernement et les faits.

Quel avenir pour le Bonheur au Bhoutan ?

Bhoutanaise

Le jeune gouvernement semble attaché à remettre le pays dans le droit chemin, en pavanant moins pour agir plus, acceptant les réalités économiques, sociales et environnementales. Le premier ministre est formel : rejeter l’indice est davantage un symbole pour cesser l’inaction des dernières années, ce qui compte avant tout est le bien-être des Bhoutanais.

Aussi, le pays souhaite continuer à profiter du tourisme. Depuis 2008, le nombre de touristes autorisés à entrer au pays s’est vu multiplié par 4 (116 000 en 2013). Et comme tout voyageur se doit de s’acquitter d’une taxe de 250$/jour, l’apport monétaire permet de financer de nombreux projets.

Les défis pour le gouvernement bhoutanais est donc de trouver le juste dosage entre ouverture à l’étranger et préservation des traditions, en continuant d’accroitre le bien-être du peuple.

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