En direction de la frontière tibétaine
Ce matin, c’est le grand départ pour la région frontalière du Tibet (actuellement la Chine). Tout d’abord, il nous faut 7 heures de route le long de l’Indus puis droit au sud sur le plateau du Changtang pour rejoindre le majestueux lac Tso Moriri et enfin les alpages de Korzok. A mesure que l’on roule vers l’Est en direction du Tibet, la vallée de l’Indus se resserre pour former une gorge parfois profonde. Devant nous, nous observons une floraison de couleurs de roche, parfois ocre, verte ou encore jaune.
Une fois au village de Mahe, nous quittons l’Indus. Nous prenons de la hauteur jusqu’à un col (4800m) où la vue sur le lac Thadsang Karu est féerique. Après ce sublime spectacle, nous rejoignons rapidement par une piste sablonneuse le lac Tso Moriri et le village de Korzok qui abrite une cinquantaine de maisons empilées les unes sur les autres faites de pierres plates. Le toit plat en terre permet d’entasser des bouses de yak séchées. Nous quittons le Tso Moriri pour monter jusque dans les alpages de Korzok, une plaine d’environ 10 km2 située à 4600m entourée de sommets entre 5500 et 6500m.
Les nomades de la plaine de Korzok Phu
A l’entrée, nous observons certains sommets enneigés. Sur les pentes sablonneuses, des taches blanc crème. En se rapprochant, nous voyons en fond de plaine des tentes de nomades en peau de yak et des encloses de pierres plates se dessiner tandis que les troupeaux de chèvres et de yak, plus haut, prennent forme à leur tour.
Environ cinquante familles vivent actuellement à Korzok Phu, soit 300 à 350 personnes.
Cet air de bout du monde me rappelle une citation Des Monts Célestes aux Sables Rouges de l’écrivain voyageuse Ella Maillart : « Grandiose désolation. Comme en mer, la monotonie donne un relief extraordinaire aux moindres événements.» Néanmoins, par endroit, le paysage offre une « incomparable vision baignée de jeune lumière irisée : yourtes rondes bien ficelées avec leur aigrette de fumée blanche, petits chevaux ronds, frisés comme des caniches, surmontés de la haute selle ouatée… ».
Un thé au beurre salé
Alors que nous marchons vers un campement de nomades, une femme nous invite à entrer dans sa tente. Vêtue d’un long manteau de lainage lie de vin retenu par une ceinture en laine rouge enroulée autour de la taille et chaussée de bottes de laine serrées par une jarretière sous le genou, elle s’affaire près du foyer pour nous offrir la collation de bienvenue : du thé au beurre salé, épaissi d’une poignée de poudre de fromage séché et de farine d’orge grillée, la tsampa. Nous lui donnons des pommes et des bananes achetées à Leh. Ses jeunes enfants regardent ces fruits comme des trésors très convoités. Sur ces hautes terres, les fruits et les légumes ne sont pas courants car l’agriculture est ici quasi inexistante.
En cette fin de matinée, le campement est calme. Assise dehors près de la tente, une vieille femme baratte du yaourt. Plus loin, une femme plus âgée encore tisse une couverture avec de la laine de yak et de chèvre. Les hommes et les jeunes sont absents. Ils parcourent la montagne avec le troupeau de chèvres et ne reviendront qu’en fin de journée.
Malgré l’accessibilité du camp par une piste carrossable, les visites ne sont pas nombreuses : quelques acheteurs ladakhis de la laine pashmina, des fonctionnaires du gouvernement, des représentants d’ONG et de rares voyageurs.
Les nomades du Changtang
La vie des nomades du Changtang est d’autant plus difficile de nos jours qu’elle est coupée du monde moderne : l’accès à l’éducation et à la santé est compromis, les hivers ultra rigoureux sans compter la méprise des sédentaires du Ladakh et des indiens de la plaine qui les considèrent comme arriérés.
Au campement, les journées se ressemblent toutes : les corvées d’eau et de combustible, les repas, la traite, le gardiennage des troupeaux sans oublier les tâches communautaires.
Chaque famille est propriétaire d’environ 50 à 100 chèvres. Chaque chèvre est tondue une fois par an au printemps. Elle rapporte environ 3500 roupies équivalentes à 50 euros. Leur revenu est donc compris entre 2500 et 5000 euros par an pour subvenir aux besoins d’une famille d’environ 7 membres. D’autres sources de revenu peu rémunératrices viennent compléter l’argent provenant du pashmina : beurre, poil et viande de yak.
Les pasteurs de Korzok constituent l’un des trois groupes nomades du Ladakh, en plus des nomades réfugiés tibétains qui vivent dans des zones proches de la frontière tibétaine. Les nomades vivent de l’élevage de yaks, de chèvres et de moutons à une altitude comprise entre 4000 et 5000 m. Quatre à six fois par an, le groupe tout entier se déplace empruntant des itinéraires qui le conduit saison après saison dans les mêmes lieux. L’été, on vit dans des tentes regroupées en campement ; l’hiver lorsque la température descend jusqu’à -30/-40° dans de petites maisons de pierre conçues sur le même modèle.
En période hivernale, les nomades du plateau du Changtang sont coupes du monde. Seul le téléphone satellite mis en place par l’armée il y a 4 ans permet de communiquer avec l’extérieur et de faire décoller de Leh un hélicoptère en cas d’accident grave.
La laine pashmina
Contrairement au Tibet, la sédentarisation n’est pas forcée. Bien au contraire, gouvernement et ONG ont multiplié aides et programmes de développement pour maintenir les nomades sur place. La laine de pashmina, avec laquelle sont tissés les fameux châles du Cachemire, est maintenant un revenu non négligeable du Ladakh. Cette bourre soyeuse est récoltée sur les flancs des chèvres tibétaines. Sa qualité augmente avec le froid et l’altitude.
Tondue une fois par an, en mars-avril, puis vendue à des intermédiaires bases à Leh, la laine de pashmina est vendue par des anciens nomades, qui la vendent aux fabricants de châles, qui par la suite la vendent aux détaillants basés dans des boutiques à Srinagar, New Delhi ou Paris.
À peine 5% de la production mondiale de laine pashmina provient actuellement du Ladakh. 80% de la laine est mongole. Pourtant, c’est bien la laine de pashmina du Ladakh qui est la plus prisée car elle est considérée comme plus fine.
Sangrup, le sourire aux lèvres, semble très heureux de vivre un petit bout de vie parmi les nomades. Son grand père était né dans une famille de nomades de Korzok Phu, et seuls ses parents se sont sédentarisés. « L’hiver est beaucoup trop froid sur le plateau du Changtang, le niveau d’éducation pour mes enfants est trop mauvais ici, et puis, les nomades sont sales, ils ne se lavant jamais ! »
Le Tso Kar , ses grues, ses kyang, ses loups… et ses léopards des neiges
Nous quittons à regret les nomades de Korzok Phu pour rejoindre le lac Tso Kar à trois heures de route en direction du Nord-Ouest.
La plaine de Tso Kar, d’une superficie d’environ 100 Km2, abrite deux lacs salés. La plaine abrite une faune abondante : les kyangs, les grues, les canards, les renards, les loups, les bharals et urials et les fameux léopards des neiges.
A l’approche du village de Thukje déserté par les habitants l’été qui vivent dans les hauts pâturages, nous nous arrêtons près d’une construction ronde. Sangrup nous explique que ces constructions servent de piège aux loups qui sont nombreux l’hiver à attaquer les chèvres, yaks et moutons. Aux premières neiges, les habitants de Thukje amènent une chèvre dans ce piège de pierre, et enferment leurs chiens dans leurs maisons. Les loups approchent et se jettent dans la gueule… du piège !
Retour au monde moderne
Nous quittons la plaine de Tso Kar et avec elle le plateau du Changtang, ses paysages désolés à perte de vue et ses rares nomades qui vivent a mille lieux du monde moderne. Apres le passage du col de Taglang La (5300 m), le deuxième plus haut col carrossable du monde, nous atteignons le village de Rumtse, et nous arrêtons pour boire un chai (thé au lait). Les petites échoppes de bord de route regorgent de paquets de biscuits, chocolats, bonbons empaquetés dans des sachets plastiques aux couleurs criardes. Nous sommes de retour dans le monde moderne !
En route pour Leh, dernière étape de notre voyage au Ladakh. Nous repassons devant le monastère de Tikse. Sangrup évoque alors la beauté de ce monastère, incontestablement le plus beau du Ladakh, avant de partir dans un fou rire communicatif et de nous rappeler qu’il est originaire de Tikse. Son commentaire est donc assez… subjectif !
Plus d’informations sur nos voyages et treks sur mesure au Ladakh rendez-vous sur notre site.
Dans le cadre des 10 ans de Shanti Travel, nous vous proposons un voyage exceptionnel en août 2016 au Ladakh, Au fil du Pashmina, accompagné par Alex Le Beuan, fondateur de Shanti Travel.
Retrouvez le récit de Rémi qui lui aussi a partagé un bout de vie avec les nomades du Changtang en août 2015.