Quand apparaissent les premiers Makar Khampa
Tangye – Makar Camp (Khampa Headquater)
Levés depuis l’aube, nous ne tenons plus en place, alors que le muletier finit d’harnacher ses bêtes. Nous sommes prêts! A la fois curieux, impatients et fébriles de commencer à fouler des sentiers jadis foules par Apa Gyaltsen et ses camarades résistants. Aujourd’hui : c’est le grand jour: nous partons marcher durant 5 jours dans la région autrefois habitée par les Khampa et découvrir les vestiges de leur campements.
Jigmet, villageois de Tangye, s’est joint à notre équipe, car il est le seul d’entre nous à connaitre l’itinéraire que nous allons suivre durant les prochains jours, totalement hors des sentiers battus. Nous empruntons une passerelle métallique au-dessus de la Tangye Khola et entamons une montée d’abord raide, puis plus clémente dans une terre meuble jusqu’à un premier petit col à 3800 m d’où la vue porte loin sur les villages de Ghami, Marang et Tsarang, ainsi que l’immense plateau vide, entre Tangye et Naya Dhey. Tout au fond, au Nord, le plateau tibétain qui semble se poursuivre à l’infini. Au Sud, on aperçoit le majestueux Dhaulagiri et ses 8167 m d’altitude qui culmine au-dessus des nuages. Au Mustang les montagnes s’entrecroisent à l’ infini.
C’est dans la haute vallée de la Kali Gandaki, lorsqu’on a une ammonite (fossiles d’animaux marins) à la main, que l’on imagine le mieux la formation de l’Himalaya. Il y a 250 millions d’années, un seul continent, la Pangee, émergeait des mers. Cette masse se divisa alors en deux, la Laurasie au Nord et le Gondwana au Sud, la mer Tethys les séparant de près de 6000 km. Entre – 120 et -80 millions d’années, l’Inde se détacha du continent qu’elle formait avec l’Afrique, l’Australie et l’Antarctique. Elle dériva seule vers le Nord-Nord-Est, pour finalement rejoindre la Laurasie. La réunion se fit il y a environ 50 millions d’années et entraina la disparition de la mer Tethys. La Méditerranée en est l’ultime bassin. Mais les eaux avaient laissées des sédiments qui furent transformés, comprimés, et échauffés par la gigantesque collision entre les deux blocs à l’ origine des premiers reliefs himalayens. Le fond de l’océan se retrouva propulsé au sommet des montagnes. C’est ainsi qu’au détour d’un chemin caillouteux, le marcheur bute sur un de ces fossiles plus de deux fois millénaire, ou bien, intrigué de voir l’eau s’assombrir par endroits, il se baisse et découvre un trésor d’ammonites noires et brillantes.
L’effort se poursuit dans des espaces de plus en plus lunaires jusqu’à ce que des genévriers nous accueillent un peu avant col de Makar La, à 4250 m d’altitude. Au col, Tenzin découvre avec émotion le premier vestige Khampa sur notre route : une tour de contrôle aujourd’hui en ruine. Devant nous s’étend au Sud-Est la haute vallée de la Tangye Khola, et tout au fond l’horizon est masque par les montagnes du Damodar Himal. Plus près, à flanc de vallée, on devine les ruines des Makar Khampa. Nous déjeunons dans ce décor irréel, avec d’un cote cette immense vallée qui abrite des genévriers et autres épineux qui lui apportent une touche verdoyante, si anachronique au Mustang, et de l’autre un désert absolu.
Nous rejoignons le torrent Tangye Khola par un sentier en pente douce, et les ruines des camps Khampas apparaissent plus précisément sous nos yeux. Une fois passé un gué, la montée est raide, et le sentier étroit et bordé de buissons épineux et de genévriers rabougris semble abandonné, à tel point qu’il est parfois mal aisé de suivre sa trace. Difficile de s’imaginer que ce chemin était une piste très empruntée par les Khampas et leurs chevaux pour acheminer des vivres depuis Tanggye et Tetang. Nous dépassons un premier camp, qui comprend les ruines d’une dizaine maisons aux murs de pierre plate. Jigmet nous explique qu’après le départ des Khampa, les Lo Pa de Tangye ont récupère la charpente des maisons pour la construction de leurs propres bâtisses, en raison de la rareté du bois dans la région.
Au cœur du dispositif des résistances tibétaines
Enfin nous arrivons au plus grand des Makar Khampa du Mustang, le quartier général, qui comprend une dizaine de ruines, une source d’eau claire et une belle pelouse arborée. L’émotion est à son comble pour Tenzin, car comment ne pas supposer que son Père, Apa Gyaltsen, ait pu venir ici, et qu’il y ait peut être même vécu plusieurs mois, plusieurs années… Là, sur ce territoire du bout du monde, à plus de 4000 m d’altitude, et 6 heures de marche du premier village, on visualise avec effroi la vie quotidienne que menaient ces résistants ignorés du monde. Michel Peissel écrit: ‘’Je comprenais aussi ce que les mots ‘’une région politiquement instable’’ signifiaient, car j’avais pu voir à quel point la lutte persistante du Tibet contre l’invasion chinoise était réelle. Lutte gardée secrète ou même démentie par les rares personnes ayant une connaissance véritable de son importance dans ces régions isolées. C’était toujours la guerre qui avait commencé en 1954 au Kham, dans le Tibet oriental. Ici [au Mustang], aux confins les plus inaccessibles de l’Himalaya, ces hommes s’opposaient encore aux chinois dans des opérations militaires clandestines. Les Khampas étaient les derniers soldats à lutter contre les Chinois’’.
Les combattants du Toit du monde firent preuve d’un immense courage dans leur lutte désespérée pour empêcher Mao de contrôler le Cœur stratégique de l’Asie. Leur mission consistait à lancer des raids au Tibet pour déstabiliser l’armée chinoise. Un raid majeur eu lieu en 1961, qui conduit à l’embuscade d’un convoi transportant un commandant du régiment de l’APL – Armée Populaire de Libération. Les nombreux documents secrets contenus dans son sac se révélèrent être une très riche source de renseignement pour la CIA car une grande partie de la stratégie expansionniste dessinée par Mao, et de sa mise en place y était décrite.
Malgré le tragique destin des hommes qui y vécurent, il règne en cette fin de journée sur ce petit plateau verdoyant une douce et réconfortante ambiance, presque bucolique. Les genévriers embaument l’air glacial de cette fin d’après-midi, et nous regardons en direction de l’Est et du col de Gowa La (5018 m) qui sépare la vallée du massif du Damodar Himal et le Khumjungar qui trône de ses 6759m, étincelant. Le col Gowa La était pour les Khampa installés dans la vallée la voie la plus directe pour parvenir à la frontière chinoise, à quatre jours de marche en passant par plusieurs cols à plus de 5000 m d’altitude dans des régions totalement vides de toute présence humaine. Nous plantons notre tente sur un coussin d’herbes sauvages puis Lhamo et moi cueillons des orties et épinards dont Pema cuisinera une excellente soupe pour le diner. Karma et Jigmet récoltent des racines et branches mortes et préparent un feu, une première depuis le début du trek, qui nous réchauffe le temps du diner.
Dernier col avant Green camp
Marcher, marcher, et marcher encore, entre Terre et Ciel
Makar Camp – Kog
Nous reprenons la marche une fois le soleil levé. Il nous faut d’abord retourner sur nos pas jusqu’au col de Makar La, en traversant de nouveau le torrent, glacial. Une fois au col, nous n’en avons pas terminé avec la montée. Nous obliquons en direction du Sud en direction de Kog et retrouvons des paysages arides. Ce désert d’altitude n’est jamais monotone: le passage de chaque épaule montagneuse nous offre un point de vue et une perspective différents du précèdent. Nous traversons un Kharka, campement de nomades, vide. Les bergers doivent marcher avec leurs troupeaux de chèvres dans les hauts pâturages à l’heure qu’il est. Encore un effort et nous arrivons au col, à une altitude de 4600m, d’où l’on devine en contre bas les ruines d’un autre camp Khampa, celui de Kog. La descente, pentue, nous casse les genoux et nous apprécions grandement le thé chaud que nous sert Pema à notre arrivée, après 6 heures de marche, au milieu de l’ancien camp Khampa, ou nous montons notre campement. Trois tentes de bergers sont plantées en contre bas, et nous apercevons bientôt les chèvres qui descendent du haut d’une crête en notre direction. Plus bas encore, on devine les ruines du village de Kog, déserté au 18eme siècle à la suite d’un glissement de terrain et la destruction des canaux d’irrigation. Suite à cette catastrophe, les villageois ont élu domicile dans le village de Tetang, plus au Sud, que nous atteindrons dans 3 jours.
Le ciel bleu nous a quitté depuis plusieurs heures déjà, remplacés par des nuages qui descendent vers nous d’une force tranquille, ce qui rend l’atmosphère à la fois lourde et froide. Lhamo et moi collectons des racines mortes de genévriers et tentons de nous réchauffer auprès d’un feu de fortune. La nuit sera glaciale et pluvieuse.
Kog – Narsing Khola
Sortir du duvet est un véritable calvaire ce matin tant le froid est mordant. Karma, en ouvrant le zip de la tente pour nous apporter du thé, a laissé entrevoir des nuages bien cramponnes aux montagnes, et nous rêvons secrètement de prolonger notre sommeil. Apres plusieurs essais infructueux, Tenzin et moi réussissons enfin à nous extirper de la tente tandis que Lhamo se rendort. Il est temps de rendre visite aux bergers et à leur troupeau, avant qu’ils ne s’en aillent vers les hauts pâturages pour la journée. Vêtue de la traditionnelle longue jupe de lainage retenu par une ceinture enroulée plusieurs fois autour de la taille, recouverte par un tablier tricolore de nuances de bleu, de rouge et de vert, une bergère retient son gros molosse gueulard à notre approche.
Nous échangeons avec elle et son mari, tandis qu’ils s’affairent, elle à tirer le lait de ses chèvres, et lui à faire la vaisselle. Ils passent quatre mois de l’année ici, à plus de 5 h de marche du premier village, tandis qu’ils séjournent dans leur maison de Tangye en hiver. Ils nous apprennent qu’ils se sont fait réveiller par les aboiements des chiens en pleine nuit, et une fois sortis de la tente, ils ont aperçu à l’aide de leur lampe torche un léopard des neiges qui avait escaladé un mur de pierre d’environ 1 m 20 pour entrer dans l’enclos dans lequel était abrité le bétail. Surpris par le faisceau lumineux, le léopard a sauté de nouveau par-dessus le mur et pris la fuite. En s’approchant du troupeau, les bergers ont repéré deux chèvres mordues par le léopard, sans que leurs jours ne soient en danger. Les nomades ont l’habitude de ces interventions nocturnes, celles des félins mais aussi des loups.
Tenzin demande à l’homme, la soixantaine, s’il a rencontré des Khampa alors qu’il était enfant. Il lui répond que son père était Khampa, et était parvenu au Mustang à l’âge de 19 ans, pour y faire la guerre, mais avait rapidement épousé une Lo Pa et avait renoncé à la résistance pour s’installer à Tangye comme éleveur de yaks. ‘’Les Khampa étaient très nombreux dans la région comprise entre Kangye et Tetang. Ils venaient parfois chez nous pour manger. Les villageois se méfiaient d’eux car ils attrapaient parfois le bétail la nuit… Ils tuaient nos bêtes pour manger, car ils étaient très pauvres… Parfois ils partaient vers la frontière pendant trois-quatre jours, sans manger, et revenaient affamés’’.
Nous prenons congé de Jigmet qui doit rentrer à Tangye ainsi que des bergers, et entamons la journée de marche qui débute par un agréable sentier en légère descente alors que nous nous approchons de l’ancien village de Kog dont on voit les ruines des maisons et le dessin des murets des anciennes parcelles agricoles. Le soleil fait son apparition tandis que la descente devient raide sur un sentier caillouteux qui mène au lit du Yak Khola, au niveau d’une bergerie vide. Un pont nous permet d’enjamber le torrent, que nous remontons durant quelques minutes, dans un canyon de couleur ocre. Un semblant de chemin extrêmement pentu monte plein Sud, dans des éboulis, entourés de cheminées de fée. Tout à coup, alors que j’attends Tenzin, Lhamo et Karma au départ de ce sentier, j’entends au dernier moment deux pierres qui dévalent la pente. Je n’ai d’autre choix que de me recroqueviller ‘’en boule’’ avec le sac à dos penché en avant qui me couvre une partie de la tête… L’une d’elles fuse à moins d’un mètre de moi avant de terminer sa course folle dans le torrent. Les mules, que je n’avais pas vu, se trouvent à une centaine de mètres plus haut et ont du déclencher l’éboulement. En évaluant ce sentier, j’ai un mauvais présage et demande à Karma si nous sommes réellement sur le bon chemin, et il m’assure qu’il n’y a pas d’alternative. Je ne prends pas le temps d’ouvrir la carte, ce qui, comme je m’en apercevrai plus tard, se révèlera être une erreur… Nous décidons, Lhamo sur le dos de Karma, de monter une centaine de mètres l’un après l’autre pour ne pas courir le risque de faire de nouveau tomber des pierres. Nos chaussures dérapent sur un sol détritique et il nous faut nous servir de nos mains sur certains passages. Notre cheval refuse plusieurs fois de poursuivre et Karma doit se montrer très persuasif pour que Khampa se décide à repartir d’un air maussade. Nous nous sortons finalement de cette situation délicate sans accrocs, mais ne sommes pas au bout de nos peines. Moins pentu, le sentier est très difficile à trouver, et il nous faut parfois revenir sur nos pas avant d’essayer de chercher ou poser le pied. Nous marchons une bonne heure avant de retrouver les muletiers et décidons de faire une pause piquenique. Je sors la carte et me rends compte que nous ne sommes pas sur le bon chemin. Aucun sentier n’est indiqué là où nous nous situons. Devrions-nous redescendre et récupérer l’unique sentier mentionné qui mène à Narsing Khola? Ou plutôt essayer le récupérer à partir d’ici? J’implore intérieurement Jigmet de nous aider, lui qui a dû nous quitter ce matin et qui connait parfaitement la région, mais ne reçoit aucun message en retour… Les muletiers se montrent convaincants sur le fait de poursuivre tout droit en pleine pente car disent-ils, nous retrouverons un sentier qui nous mènera à bon port. Inch’Bouddha! Il nous faudra finalement marcher ‘’ à vue’’ sur un terrain très pentu durant 2 bonnes heures avant de trouver une sente a chèvre relativement plate que l’on suit durant une heure pour déboucher sur le bon chemin. La vue est imprenable sur le Teri La et les montagnes qui l’entourent. Le sentier pentu descend vers Narsing Khola et traverse quelques prairies couvertes de genévriers. Nous posons la tente à coté de vestiges khampa dans une vallée totalement désolée. Cette journée qui devait nous mener au campement après 5 heures de marche, aura finalement pris 9 heures. Ne tenant plus debout, nous n’avons même pas la force de diner… Nous nous réconfortons d’une simple soupe chaude avant de retrouver avec empressement nos duvets pour une longue nuit réparatrice.
Narsing Khola – Green Camp
Le ciel est d’un bleu intense ce matin, et on croirait presque, avec les anciens Perses, que la Terre repose sur un saphir dont l’éclat bleuté se reflète dans la couleur du ciel. Le soleil ne tarde pas à réchauffer notre tente, et pourtant… nous avons toutes les peines du monde à sortir de notre Home, tant la marche d’hier a laissé des traces sur notre énergie et nos muscles endoloris. Il nous faut pourtant repartir, pour gravir au col à 4700 m, d’où la vue est saisissante sur le Phalkang Himal tandis que plus près de nous, un paysage de falaises, aux pénitents ocre, rouges et noirs se déroule devant nos yeux émerveillés. La fatigue s’estompe devant un tel spectacle, et les muscles de nos jambes chauffés par la montée ont repris de leur vigueur. La marche modifie aussi de manière positive nos émotions, grâce aux effets positifs des endorphines. Les endorphines ont non seulement un rôle important pour améliorer naturellement nos défenses immunitaires et réduire la perception de la douleur mais elle a aussi des effets bénéfiques sur notre moral, et je le ressens particulièrement aujourd’hui. Pour ne rien gâcher, la recherche scientifique a prouvé ces dernières années que l’acte même de marcher modifie physiquement notre cerveau en favorisant la plasticité cérébrale – la capacité du cerveau à remodeler ses connexions – et en encourageant la création de cellules cérébrales.
Nous redescendons jusqu’à un ancien camp Khampa, le dernier rencontre au cours du trek, et poursuivons jusqu’au creux de la vallée et le torrent Yakshu Khola, dont la traversée est rendue périlleuse par le fort débit de l’eau glacée. Lhamo, qui trône crânement sur son cheval, rit aux éclats de nous entendre crier ‘’aglagla c’est froid!’’. Le sentier est désormais en légère descente ou à plat jusqu’ avant le passage du dernier col de notre trek au Mustang, d’où l’on jouit d’un panorama époustouflant, du massif des Nilgiri aux Sud jusqu’au Mustang Himal au Nord. Nous échangeons des regards avec des bharals perchés sur une crête, avant d’arriver sur un petit plateau bucolique avec ses canaux et ruisseaux qui serpentent dans des prairies verdoyantes. Apres 6 heures de marche, nous sommes au Green Camp, qui coïncide avec notre dernière nuit sous tente.
Tandis que Tenzin et Lhamo profitent du confort de ce lieu riant sous un soleil couchant pour lire et dessiner, je profite de la dernière étape en haute altitude pour me promener jusqu’à un éperon rocheux et observer l’ensemble de cette région si singulière, lunaire. Au loin en direction du Sud, des glaciers sortent de la grisaille puis disparaissent de nouveau, et tout à coup, le ciel s’entrouvre et le sommet du Dhaulagiri scintille. Au-dessus des nuages, les pentes inferieures de ce géant ont été blanchies, sans doute par le mauvais temps de l’avant-veille. Je rends hommage au père de Tenzin, Apa Gyaltsen, décédé avant que je n’ai eu la chance de le rencontrer, et à tous ses compagnons maquisards, ces ‘’guerriers du désespoir’’ comme les appelait Michel Piessel, qui vécurent là été comme hiver durant 15 ans. S’ensuit une méditation d’une forte intensité, bientôt interrompue par la température qui chute brusquement au soleil couchant alors qu’un vent glacial souffle dans la vallée. Il est temps de redescendre retrouver la chaleur du campement, au moment où Karma prépare un petit feu de branches mortes. Après nous être restaurés d’une soupe d’orties et du traditionnel Dal-Bhatt, je regagne notre tente sous un ciel qui scintille et me remémore une phrase de Rimbeau, ‘’éteignez tout et le monde va s’allumer’’.
Dernier jour de trek, jusqu’à l’envoutante Oasis de Tetang
Green Camp – Tetang
Lhamo adore son cheval Khampa et le bichonne chaque matin et chaque soir, s’assurant qu’il ait toujours une grande portion de céréales à manger. Ce matin, coiffé et apprêté de chouchous de couleur criarde sur sa crinière, Khampa a une classe folle! Sachant qu’aujourd’hui coïncide avec notre dernier jour de trek au Mustang, Lhamo a mis toute son énergie au profit de la préparation de sa monture. Une fois la selle harnachée, elle demande à Karma de lui faire faire un tour, ‘’au galop’’! Alors que l’équipée trace à grande vitesse sur le plateau, laissant une trainée de poussière derrière elle, une sensation de bonheur sans retenue se lit sur son visage aux anges. Plus que jamais, Lhamo est convaincue de devenir ‘’petite guide’’, elle qui a peine descendue de cheval entraine déjà son doudou-marmotte, le fameux ‘’Baby’’, a escalader les rochers en l’assurant à l’aide d’une ficelle…
Avant de nous mettre en route, nous jetons un dernier regard sur le majestueux Dhaulagiri. La marche prévue pour aujourd’hui est une promenade de santé, car pour la première fois, nous ne faisons que descendre, dans ce chaos minéral, multicolore, tempéré par l’oasis de Tetang que l’on devine loin en contrebas, avec ses toits plats entoures d’une mosaïque de champs de blé, d’orge et de pommes de terre. Apres 3 heures de marche, nous arrivons au-dessus du village, et le spectacle est saisissant: Tetang, pose au centre de la vallée, avec ses deux quartiers distincts, ceinture par des zones de cultures flamboyantes, au-dessus duquel trônent ses immenses falaises colorées, est un site d’une rare beauté.
Apres avoir posé les sacs au campement, installés dans le jardin attenant à une maison, Tenzin et moi visitons le village dont nous tombons sous le charme. Véritable labyrinthe hors du temps avec ses ruelles tortueuses qui se faufilent jusque sous les maisons dans des boyaux sombres et bas, plafonnés de bois. L’effort consacré à la construction et à l’entretien des maisons chaulées, des murs de soutènement, des terrasses et des canaux d’irrigation, ne peut que laisser admiratif. Les cultures qui entourent le village sont connectées aux canaux artériels par des aqueducs souterrains, qui passent sous des champs intermédiaires. Le limon des rivières est transporté jusqu’aux terres cultivées, une fois mélangé à du fumier. Grâce au travail d’orfèvre de générations de villageois, Tetang est une véritable œuvre d’art qui semble s’ignorer, humblement posée dans les méandres d’une géologie qui tend toujours plus haut vers le ciel.
Rentrés au campement après le soleil couche, nous retrouvons Lhamo attablée avec ses deux nouveaux amis devant une télévision à regarder bouche bée un dessin anime, incapable de porter son attention sur son assiette de chowmein (spaghetti tibétaines) après 15 jours de totale déconnexion. Il nous faudra attendre que ses yeux se fassent lourds pour la de scotcher et la porter jusqu’à son duvet.
C’est ici que s’achève notre voyage sur les traces de Apa Gyaltsen, et nos dernières pensées sont pour lui, qui après 25 ans de résistance armée contre l’occupant chinois, dont 15 passées au Mustang, dut abandonner la lutte, avant de de trouver refuge dans la ville népalaise de Pokhara, dans l’un des quatre camps de réfugiés tibétains, ouverts par le Croix Rouge Internationale. C’est dans ce même camp qu’il passa le restant de sa vie, y devint artisan fileur de laine, et y rencontra la mère de Tenzin, avec qui il eut trois filles. En tant que refugié, il lui était interdit de sortir du Népal, et il dut donc se résigner à ne jamais revoir le Toit du Monde, son pays.
Nous avons vécu ce bout de vie au Mustang comme un challenge, à la fois physique et émotionnel, en particulier pour Tenzin, qui s’est reconnectée à un passé familial à la fois très proche et paradoxalement largement ignoré. Nous ressentons ces épreuves comme bénéfiques, car elles nous ont rendu plus confiants, en particulier quand à notre résilience face aux imprévus. Ce voyage à petit pas débuté il y a maintenant 2 mois au départ de Nimmu House, au Ladakh, nous rend aussi, Tenzin, Lhamo et moi, à la fois plus que jamais soudés et libres.
Demain, nous quittons le Mustang pour rejoindre Pokhara, après ce qui se révèlera être un trajet épique de 13 heures de jeep sur une piste rendue difficilement carrossable en raison de fortes pluies qui créèrent des ornières et plusieurs glissements de terrain. Apres un court séjour dans la maison familiale de Tenzin, nous repartirons, cette fois, pour un mois de trek au Dolpo, une autre région du Népal située plus à l’Ouest, et certainement l’une des plus inaccessibles du massif himalayen. Nous nous y rendrons pour tenter d’explorer une autre page de l’histoire familiale de Tenzin, une nouvelle fois sur les traces de sa Maman, Momo Tsuki, qui après avoir fui à pieds le Tibet en 1960, y trouva refuge durant 6 ans.
À suivre…
Alex Lebeuan, fondateur de Shanti Travel