Ce que j’aime avec l’Indonésie, c’est qu’on n’est jamais à l’abri de tomber sur une île inconnue du grand public. Il faut dire qu’avec une bonne dizaine de milliers d’îles, il faudrait une certaine érudition pour toutes les connaitre. Autant vous dire que lorsque j’ai annoncé mon départ pour 10 jours en Sulawesi, amis et famille n’ont pas vraiment eu l’air de bien comprendre où j’allais. Loin de moi l’idée de les blâmer ! Malgré son statut de 12ème plus grande île au monde, la Sulawesi n’est pas aussi connue que ses consoeurs : Bali, Java, Lombok, Flores…
Peut-être est-ce parce qu’elle fait sa précieuse avec deux noms : Célèbes (souvent utilisé comme ‘ les Célèbes’) et Sulawesi ou bien parce qu’elle se découpe elle-même en ‘Tana’ ou pays selon les ethnies qui y vivent : Tana Bugis au Sud, Tana Toraja entre le Sud et le Centre et Tana Minahasa au Nord.
En 10 jours, j’ai tout juste eu le temps de visiter le Sud de la Sulawesi : de Makassar au pays Toraja en passant par les plages de Bira et le lac Tempe. Mais chaque chose en son temps, laissez-moi d’abord vous raconter le Pays Toraja.
Le Pays Toraja, c’est quoi ?
Etymologie :
Toraja, qui viendrait du bugis « to ri aya » voudrait dire « les gens d’en haut » pour signifier à la fois que les Toraja vivent au Nord par rapport au royaume de Makassar mais également que ce sont un peuple des montagnes.Et pourtant, les Toraja sont à l’origine des pêcheurs qui, fuyant l’islamisation massive, sont remontés dans les terres et ont trouvé refuge dans les montagnes.
Les Toraja, une ethnie tournée vers la mort
Le Pays Toraja est donc une province du Nord de la Sulawesi du Sud. Il est célèbre pour ses maisons traditionnelles en forme de cornes de buffle ou de coque de bateau (libre interprétation) : les tongkonans et ses rites funéraires particuliers. Chez les Toraja, on passe sa vie à préparer sa mort : tombeau, tombes suspendues, tau-tau (sortes d’effigies mortuaires en bois de jacquier représentant les défunts) sans oublier les buffles et cochons à sacrifier pendant la cérémonie. Tout cela a un coût certain ! Ainsi il n’est pas rare d’embaumer ses morts et d’attendre quelques années avant d’avoir assez d’économies pour pouvoir procéder aux rites funéraires.
La religion est le plus souvent indépendante des cérémonies funéraires. Ainsi, qu’ils soient chrétiens comme la moitié des Toraja, musulmans ou adeptes de l’Aluk To Dolo, religion animiste reconnue par le gouvernement indonésien, les rites funéraires seront ceux propres au village d’origine du défunt.
Par exemple, si vous venez de Lemo, alors vous aurez votre tau-tau accroché à une sorte de balcon en pierre dans la roche alors qu’à Londa c’est votre tombe qui sera directement suspendue. Travailler toute sa vie pour financer son enterrement et sa tombe, cela pourrait sembler morbide avec nos yeux d’occidentaux mais loin de là : des cercles de prières chantées aux somptueux costumes de perles colorées, cette commémoration a des allures de fête !
Ma première cérémonie funéraire en Pays Toraja
J’ai pu assister aux premières étapes d’une cérémonie funéraire tenue en l’honneur d’un noble. Le nombre de personnes et donc de cochons et de buffles sacrifiés dépend en effet de la caste du défunt.
Attention, il est important de bien suivre son guide pour ne pas commettre d’impair ! Déjà au loin, on ne peut pas rater ce qui se passe. Avec ses allures de marché aux bestiaux, on est à mille lieux d’un enterrement occidental. En effet, chaque famille qui arrive apporte au moins un porc, si ce n’est plusieurs buffles, vous passez donc le registre pour que l’État puisse prélever son impôt et que l’on puisse méticuleusement y noter vos cadeaux.
Puis, un maitre de cérémonie annonce votre famille, vos origines, si la famille du défunt avait déjà participé à une de vos cérémonies funéraires… Car en effet en pays Toraja rien ne s’oublie. Les codes et rites sont complexes. Pour simplifier : toutes les donations sont notées dans un registre et si une famille assiste à un enterrement d’une autre famille et apporte un cadeau (porc, buffle…), la seconde famille devra assister au prochain enterrement dans la première famille en apportant un cadeau d’une valeur identique voire supérieure pour lui « rendre » la pareil.
Je regarde les buffles et les cochons passer au rythme des familles qui se rendent dans leurs tongkonans attitrés. Encore une fois chaque famille a un espace qui lui est propre, plus ou moins proche des sacrifices et du cercle de prières selon leur importance.
Bon an, mal an, j’assiste au sacrifice d’un buffle, puis deux et s’en est assez pour moi. Libre à vous de regarder ou non les sacrifices. Pour les plus sensibles, s’abstenir ! Je rentre dans la grande place et je décide de m’intéresser davantage à son architecture : à côté de l’entrée, les sacrifices d’animaux, derrière le tongkonan principal de la famille, les cuisines et tout autour des petits tongkonans éphémères qui ne seront conservés que pour les 3-4 jours de cérémonie.
Commence ensuite le cercle de prière : familles vêtues de noir et jeunes filles en costume de perles de toutes les couleurs se relaient et entament un cercle de prières où chant et danse se mêlent et montent crescendo. Un vrai moment d’émotion !
Anecdotes de voyage et conseils
Des cigarettes pour les défunts
C’est en s’y rendant qu’on découvre quelques particularités difficilement descriptibles. En visitant les différents villages vous verrez sûrement des chapeaux, cigarettes, bouteilles en tout genre et autres détritus. Non, le Pays Toraja n’a pas un flagrant problème d’éboueurs mais ils laissent devant les tombes des objets dont les défunts peuvent avoir besoin dans l’au-delà. Vous noterez que la plupart du temps les boissons sont déjà vides, les enfants et adolescents du village les boivent assez souvent après l’école. Mais tant que les offrandes restent devant la tombe du défunt alors pas de souci, elles peuvent être partagées avec les enfants.
Des particularités linguistiques
Si vous dites ‘bye-bye’ à des enfants, vous les verrez assez rapidement éclater de rire. Aussi il faut dire que vous venez de les appeler ‘petits cochons’ en Toraja… A ne pas confondre avec le zéro indonésien : ‘Kosong’.
De long trajets qui valent le détour
Ma plus grande inquiétude avant de partir était avant tout les 8h de Makassar à Rantepao. Mais les arrêts : visite des villages Bugis aux maisons bleus, roses, vertes…, le déjeuner en bord de mer et toutes les anecdotes d’Elvis, mon guide originaire du pays Toraja comme son (vrai) nom ne le laisse pas supposer, rendent le trajet tout à fait supportable.
Quelques heures plus tard, j’aperçois au loin mes premiers tongkonans, quelques mégalithes, puis au détour de la prochaine route de montagne un buffle paît tranquillement à côté d’une rizière…. et là je comprends que du pays Bugis plus aride à la fraicheur des montagnes du pays Toraja, ce voyage en voiture me fait voyager comme jamais.
Quelques conseils
Privilégiez un guide originaire du pays Toraja, il aura les meilleurs conseils et astuces pour vous emmener dans les cérémonies funéraires. Grâce à Elvis, j’ai même pu assister à une sorte de pendaison de crémaillère locale pourtant très difficile à trouver.
Si vous le pouvez, partez en septembre-octobre ou mai-juin. En passant trois nuits à Rantepao, vous avez 95 % de chance d’assister à une cérémonie funéraire toraja mais vous évitez aussi la foule et les groupes de voyageurs des grandes cérémonies de juillet-août.
Que ce soit pour une heure ou une journée, préférez la randonnée pour vous rendre d’un village à l’autre. Les distances et difficultés de marche sont ajustables. Vous pourrez bénéficier d’un vrai moment de rencontre avec la population et profiter de la nature luxuriante toraja.
Vous l’aurez compris, le Pays Toraja est un incontournable de la Sulawesi du Sud, avec des cérémonies funéraires toute l’année, des paysages à couper le souffle et un terrain de jeu privilégié pour les amateurs d’architecture et de photographie.
Mais il ne faudrait pas réduire la Sulawesi du Sud au Pays Toraja, les plages de Bira, ses chantiers navals et une balade au coucher du soleil sur le lac Tempe valent également le détour.
N’hésitez pas à aller jeter un coup d’oeil sur nos programmes Sulawesi http://www.shantitravel.com/fr/voyage-en-indonesie/java/l-indonesie-de-java-a-sulawesi/ et à contacter Marie sur notre site web pour en savoir plus !.