Perché à 3800m d’altitude dans la vallée de l’Indus au Ladakh, un monastère bouddhiste dévoile son trésor. Depuis Matho, un patrimoine extrêmement précieux reprend vie sous les yeux des Ladakhis. Pour en savoir plus sur cette initiative d’exception, nous avons posé quelques questions à Nelly Rieuf qui dirige le Matho Museum Project.
Bonjour Nelly, est-ce que tu peux te présenter rapidement ?
Je suis française, j’ai 32 ans (aujourd’hui !). J’ai fait des études d’ingénierie en physique chimie, en restauration d’œuvres d’art et en histoire de l’art. J’ai également une formation en restauration d’art himalayen. Ces trois profils complémentaires m’aident aujourd’hui à gérer les différents aspects du projet : la construction, la recherche et la restauration des objets d’arts. Mon mari et moi vivons au Ladakh, sur place. J’enseigne 3 mois par ans la microanalyse chimique sur les œuvres d’arts en France. Ma formation en restauration d’art himalayen m’a mis en contact avec un réseau international nécessaire pour la collecte de fond, la communication autour du projet etc…
Comment est née l’idée de créer le projet Matho et quand fut-il lancé ?
A l’origine ce sont les moines du monastère de Matho (34 moines à Matho) qui ont eu l’idée de faire un musée à partir de leur précieuse collection, d’une grande valeur historique et religieuse. Ils souhaitaient partager ce trésor car beaucoup sont des objets de culte. Mais leur grande valeur financière ne permettait pas de les exposer tel quel au public sans protection sécurisée. Pour éviter qu’elles soient victime du trafic d’œuvres d’art et pour les protéger, les moines souhaitaient donc créer un petit musée. Au même moment, le National Museum Institute de Delhi chargeait de créer un musée modèle modèles qui puisse être dupliqué en Inde. Je me suis donc retrouvée en charge du projet de Matho au début de l’année 2012.
Combien de personnes travaillent actuellement sur le projet Matho ?
55 personnes réparties de manière assez équitable en trois pôles :
– Les artisans de la construction : avec le chef de chantier, je m’occupe d’une équipe de maçons, d’ouvriers, de charpentiers
– Les restauratrices du village, spécialisées et formées depuis 3 ans aux techniques de restauration. En plus de restaurer les œuvres, elles savent désormais donner la provenance et la date d’une œuvre, compétence unique dans la région !
– Les bénévoles : une équipe d‘experts internationaux dans différents domaines. Former les restauratrices locales et ceux qui s’occuperont du musée, s’occuper de la communication du projet, préparer l’exposition, rechercher les financements … Nous avons vraiment une équipe hors pair, passionnée par le projet. Quand peu de structures peuvent se permettre d’employer ce genre d’experts, à Matho, ils sont là bénévolement. Les bénévoles commencent généralement par une période de 3 mois puis certains reviennent d’une année sur l’autre car ils sont heureux à Matho.
Et bien sur les moines qui valident chaque étape du projet que je leur présente.
Où en êtes-vous dans l’état d’avancement du projet ?
Aujourd’hui en mars 2015, la construction est presque finie ! L’inauguration du bâtiment musée a lieu le 5 juillet 2015. S.S. Sakya Trizin, grand chef spirituel de la ligné Sakya du Bouddhisme Himalayen, fera la bénédiction du lieu. L’inauguration est ouverte au public, avec la présence des personnalités locales, ministres, de nos donateurs et de tous les acteurs du projet Matho.
L’inauguration de l’exposition du musée aura lieu dans un an, pour l’été 2016.
Les voyageurs peuvent-ils assister à d’autres événements cet été à Matho ?
Bien sur les événements habituels du monastère de Matho ont lieu. Si vous passez en visite, l’atelier est toujours ouvert. Le processus de restauration, c’est quelque chose de fascinant ! Quand on voit l’état dans lequel on les trouve et celui dans lequel on arrive à les ramener… Venez rencontrer notre équipe !
Depuis 3 ans, tu as vu grandir le projet, comment a évolué l’intérêt des Ladakhis pour leur patrimoine ?
J’ai l’impression qu’une plus grande sensibilité à la culture s’est développée à Matho. Les moines n’imaginaient pas une seule seconde qu’une œuvre pouvait être restaurée. Ils savent désormais qu’elles peuvent revenir à la vie même quand elles sont très abimées. Ils sont fascinés que l’on puisse sauver les collections et de nouveau pratiquer les rituels religieux sur ces œuvres.
Il faut savoir que le Ladakh ne s’est ouvert qu’il y a 30 ans au reste du monde. S’en est suivi une crise identitaire assez forte face à la mondialisation et à la modernité. J’ai l’impression qu’à travers le projet Matho les villageois renforcent leur appartenance, grâce à la valorisation leur culture.
Comprendre que les œuvres qu’ils détiennent ont une histoire, cela les a aussi décomplexés face au côté enclavé du Ladakh depuis toujours, entre les grands maîtres venus du Tibet ou du Cachemire. Oui les Ladakhis ont leur vocabulaire graphique et artistique avec une esthétique qui leur est propre. Le Tibet reste le grand modèle néanmoins et ils sont très fiers d’être les témoins de cet héritage tibétain.
Quelles sont les autres retombées du projet Matho sur les populations locales ?
L’équipe des restauratrices du village, ce sont 16 femmes super fières de gagner leur vie. Elles se découvrent grâce à ce travail vecteur d’indépendance, cela a amélioré leur quotidien et surtout ce travail les passionne ! Elles sont motivées, ponctuelles, sérieuses et talentueuses ! Ce projet aide vraiment à améliorer leur statut social sans dépendre uniquement de leur famille, ce qui fait une grande différence en cas de crise.
Les moines aussi ont changé ! Cette petite communauté d’hommes s’est habituée à la présence de femmes étrangères. Ça augmenté leur ouverture d’esprit. Désormais j’ai même les nonnes qui me dissent à quel point elles sont contentes que les moines soient plus attentionnés vis-à-vis des femmes. Et puis une autre chose, le projet de Matho a donné envie aux moines de voyager. Ils y trouvent une éducation supplémentaire à leur érudition religieuse. Quelques-uns sont même partis faire le tour du monde, et sont revenus à Matho avec une vision plus large. Ce changement chez les moines, je ne m’y attendais pas du tout.
Quelle est la suite de votre projet ? A Matho ou peut-être ailleurs ?
Nous préparons l’exposition pour l’été 2016. Le passage du projet se fera de manière très progressive. Je veux faire un véritable accompagnement sur environ 10 ans et être toujours présente pour l’ouverture et la fermeture chaque saison. Ensuite, j’ai comme projet de référencer tout l’art du Ladakh, établir une cartographie des collections. Les monastères Ladakhi commencent à me connaitre et du coup ils me font plutôt confiance quand il s’agit de dévoiler leurs collections secrètes, ce qui est un privilège !
Si vous aussi comme les moines, vous souhaitez apprendre sur le vaste monde et vous ouvrir aux autres, partez en voyage au Ladakh ! Vous aurez la chance de voir le projet terminé et de rencontrer Nelly : cette fée du Ladakh à la passion contagieuse. Pour toutes informations supplémentaires et pour soutenir le projet : http://www.mathomuseumproject.org
Pour aller à leur rencontre, nous pouvons organiser votre voyage : Shanti Travel soutient le projet Matho et propose des treks voyages sur mesure au Ladakh. Pour plus d’informations :
http://www.shantitravel.com/fr/trek-himalaya-indien/le-ladakh-zanskar/